Presse

Mucem, commissariat d’exposition pour la fondatrice de detoujours.com .

10 février 2020

 

Du débardeur au jogging en passant par le bleu de travail, le kilt et l’espadrille, l’exposition « Vêtements modèles » propose de suivre le parcours de cinq pièces qui ont traversé le temps et les modes.

 

« Krumer (lutteur) », fin du XIXe - début du XXe siècle. Carte postale. Mucem, Fonds d’archives Gustave Soury © RMN-Grand Palais (Mucem) / Franck Raux
« Krumer (lutteur) », fin du XIXe – début du XXe siècle. Carte postale. Mucem, Fonds d’archives Gustave Soury © RMN-Grand Palais (Mucem) / Franck Raux

Comment le débardeur ou le bleu de travail, conçus pour habiller des métiers, se sont-ils imposés comme des sources d’inspiration ou comme des « basiques » de l’industrie de la mode ? Pourquoi le kilt et l’espadrille, associés à des géographies bien précises, ont-ils connu une diffusion mondiale jusqu’à être adoptés dans le vestiaire courant ? Quels chemins le jogging emprunte-t-il pour s’affranchir de l’usage sportif et devenir l’un des emblèmes de la culture urbaine ?

À rebours de l’image d’une mode appuyée sur le cyclique et l’éphémère, ces itinéraires s’inscrivent dans un temps long de plusieurs siècles. Riches de leur épaisseur historique et symbolique, ces « vêtements modèles » sont au cœur d’une grammaire vestimentaire qui préfère le style à la tendance. À l’heure où l’on s’interroge sur la notion de durabilité, ils permettent également de mettre en lumière les notions d’artisanat et de patrimoine vivant dans leurs interactions avec les sociétés, et d’évoquer les enjeux de conservation et de sauvegarde qui les accompagnent.

Le textile est évidemment au cœur de cette exposition qui présente environ 200 pièces : prêt-à-porter, haute couture, mais aussi sous-vêtements, sélection de matériaux à toucher… Ces ensembles sont présentés en dialogue avec des dessins, estampes, photographies, films, clips, archives ; soit une iconographie riche et variée, permettant de parler du vêtement comme d’un véritable phénomène de société.


—Commissariat : Isabelle Crampes, commissaire générale, (fondatrice de deTOUJOURS.com) et Coline Zellal, commissaire associée (conservatrice du patrimoine au Mucem)
—Scénographie : Renaud Perrin
—Graphisme : Géraldine Fohr

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Mucem (M.) L’exposition s’intéresse à cinq « vêtements modèles » qui ont traversé le temps et les modes : le débardeur, le bleu de travail, le kilt, l’espadrille et le jogging. Pourquoi votre choix s’est-il arrêté sur ces cinq-là ?
Isabelle Crampes (I.C.) Il y aurait pu en avoir cent, comme ceux que j’ai sélectionnés en ligne ces dernières années dans ma démarche de conservation du patrimoine vivant et qui ont inspiré l’exposition ; mais nous avons préféré réduire la liste à cinq pièces afin de prendre le temps d’un éclairage en profondeur. Nous revenons ainsi sur leurs secrets de fabrication et leur histoire ; les origines de nos vêtements étant issues du monde du travail, du sport ou du folklore.
Nous avons aussi fait le choix de ne pas nous limiter à une vision « made in France », en proposant des pièces dont l’histoire est aussi écossaise, catalane, anglo-saxonne, etc.
Coline Zellal (C.Z.) En plus de cette diversité géographique qui fait écho au projet euro-méditerranéen du Mucem, nous avons aussi fait le choix d’une diversité de formes : une jupe, un pantalon, un haut, une veste et une chaussure. Malgré cela, toutes ces pièces ont un point commun majeur : elles mènent toutes « une double vie ». Aujourd’hui pièces de mode, elles échappent pourtant au cyclique et à l’éphémère du fait de leur histoire, parfois longue de plusieurs siècles. C’est le sens du titre de notre exposition : les cinq pièces choisies sont connues pour leurs nombreuses réinterprétations qui toutes partent d’une sorte de « prototype », à l’origine conçu pour un usage bien précis et qui sert aujourd’hui de « modèle ».

 

M. Cette exposition souhaite d’abord rappeler que les vêtements ont une histoire, bien au-delà des « effets de mode » ?

 

I.C. Mieux, elle déconstruit l’effet de mode, pour mieux le comprendre et plonger dans les évènements qui déclenchent le phénomène. En documentant les cycles historiques et sociaux qui font une mode, on la dépasse, et alors on peut se pencher sur ce que ces vêtements ont de plus pour être adoptés depuis si longtemps, au point de forger un style. L’exposition cherche les clés du durable avéré : qu’est-ce qui dans la fabrication d’un vêtement rend son usage optimal et sa façon solide, qu’est-ce qui dans son histoire lui a permis de devenir indémodable ? Elle pose aussi la question de l’élégance frugale face à la surconsommation.

 

C.Z. Questionner les effets de mode, c’est aussi poser la question du vêtement populaire. Il est fréquent d’entendre parler de « basiques » ou d’« icônes » pour des pièces que l’industrie de la mode considère comme des incontournables, au-delà des limites d’une collection. Ce statut ne vient pas de nulle part : il est le résultat d’une société. Que l’on pense par exemple à l’influence du cinéma ou de la musique sur le vêtement ! Le destin du kilt est indissociable du mouvement punk, celui du jogging ne peut être raconté sans que l’on parle du hip-hop. Les histoires que nous racontons sont pluridisciplinaires : c’est seulement en piochant dans différents domaines – l’histoire économique et politique, la technique, la culture, etc. – que l’on peut comprendre le destin de nos vêtements modèles.

 

M. Raconter l’itinéraire de ces « vêtements modèles » dans le temps long, c’est aussi une façon d’évoquer l’évolution de nos sociétés ?

 

I.C. Oui, c’est un filtre très intime pour évoquer ces évolutions. Toutes les symboliques dont ces vêtements se chargent parlent des mœurs, de l’imaginaire, du mode de vie des sociétés à une époque donnée. Les usages faits d’un vêtement, les milieux sociaux ou les genres qui s’en emparent, radicalement différents d’une époque à l’autre, sont autant de marqueurs de l’histoire des sociétés.

 

C.Z. Pour rebondir sur cette question de l’intime, c’est là une des forces du vêtement comme objet d’étude : puisqu’il sert d’interface, de médiation entre un individu et le monde qui l’entoure, il est une source incroyable pour l’histoire des sociétés. C’est un objet qui cache, mais aussi un objet qui révèle. Un vêtement est toujours l’incarnation d’un système de normes et de valeurs au sein d’une société donnée, et c’est cette richesse de sens qui est au cœur de notre exposition.

 

M. De quelle façon sont présentés ces « vêtements modèles » au sein de l’exposition ?

 

C.Z. Nous présentons bien sûr un exemplaire de chacun des cinq vêtements, au centre de chaque section. Puis, pour le reste, nous avons choisi un principe de travail : chaque pièce de l’exposition montre le vêtement modèle, dans son ensemble ou dans un de ses détails. Peintures, films, photographies les montrent mis en scène dans une multitude de contextes – on retrouve par exemple les mêmes espadrilles portées sur une photographie de plage des années 1920, aux pieds de Grace Kelly dans les années 1950 ou de Salvator Dali en 1961.

 

I.C. Ce qui est très fort dans les histoires de nos vêtements modèles, c’est que d’une œuvre à l’autre, on le retrouve toujours à l’identique, traversant les époques. Les générations ont passé, mais il est toujours là, toujours porté. Autour d’eux, il y a donc tout un monde à faire revivre, un monde où les vêtements modestes de consommation courante, les œuvres de la culture pop, les beaux-arts, les affiches de film, la haute couture sont autant d’indices réunis autour des vêtements modèles pour les faire parler.